mardi 26 février 2013

La grand-mère et l'ours


Une histoire exprimant la résilience des Inuit m’a été racontée.

Il n’y a pas si longtemps,quand les Inuit étaient encore nomades, une famille vivait dans la toundra, pas très loin de l’endroit actuel qu’on appelle Puvirnituq. Il y avait : le père, la mère, les enfants et la grand-mère. L’hiver avait été particulièrement ardu et, contraint à une importante rareté de la nourriture, la famille décida d’abandonner la grand-mère dans la toundra. Elle  les ralentissait et dans ce contexte était inutile pour le groupe.

C'était peut-être près d'ici que la grand-mère a été abandonnée par sa famille...


C’est ainsi que la grand-mère se retrouva seule à errer dans cet environnement aride et impardonnable. Laissée à elle-même,c’est alors qu’ elle commence à chercher de la nourriture. Bien qu’handicapée - elle se déplaçait avec une canne de manière chambranlante - elle souhaitait prouver à la famille qu’elle était encore capable d’être utile. 

La neige était gelée, une neige parfaite pour faire des igloos, et recouverte d’une fine poudreuse. Quelque chose attire le regard de la grand-mère vers le sol. Elle place ses mains dans ce qu’elle croit être des traces et, n’étant même pas en mesure de les recouvrir de ses deux mains, en arrive à la conclusion qu’il ne peut s’agir que de traces d’ours polaire. À la fois un animal imposant et féroce, il est rare qu’on décide spontanément de le chasser, Se disant que c’est mieux de trouver de la nourriture pour prouver sa valeur à la famille que de geler à mort, elle décide de le traquer.

C’est alors qu’après quelques heures de marche parsemé du seul son de la neige qui tombe au sol, un changement dans cette régularité. Comme un soupir, une respiration haletante. Elle se retourne et il se tient sur ses pattes arrières: Nanuk. Elle aurait préféré pouvoir penser à un plan et l’approcher graduellement. Être mise dans une situation comme celle-ci ne commande qu’un sentiment : la peur. Elle ne peut arrêter de fixer  l’animal. De son pelage blanc se détache des lames noires qui la trancherait d’un seul coup s’il le décidait. Elle est effrayée. Elle voudrait courir mais  elle sait qu’elle ne le peut pas. Il la rattraperait immédiatement et l’enverrait vers l’au-delà.

Il se tenait sur ses pattes arrières. Intimidant et commandant le respect.

C’est alors que l’instinct essaie de prendre le dessus. Tous les moyens sont bons pour tenter d’allonger la vie. Mais comment faire? Elle a l’espoir d’un signe, d'un miracle, que les esprits de la toundra la protégeront contre l’inévitable. Rien d'autre que le son du vent et la peur. L'instinct tente de revenir à la charge. Elle ne pense plus clairement. Tout est flou. Il n'y a plus que l'impulsivité du moment qui existe. 

C'est alors que sans penser, elle prend sa canne et place une de ses mitaines à l’extrémité de celle-ci. Elle s’agenouille espérant que ce baton de bois sculpté couronné de cette taillade de fourrure et de cuir de phoque la protégera.

Rien d'autre que le vent et la peur

L’ours s’approche. C’est la fin. J’irai rejoindre les esprits de mes ancêtres et je reviendrai sur la terre qu’elle se dit. La grand-mère ferme les yeux en pointant l’animal avec le bâton. Plus un son. Le néant. Puis, le vent. 

Elle est en vie.

 Elle  n’est pas dans l’au-delà mais bien dans la toundra. L’animal devant elle, n’est plus sur ses deux pattes mais bien étendu au sol. Il est encore en vie. Suffoquant, comme à bout de souffle. La mitaine qui apparaissait comme une planche de salut invraisemblable est allée se loger dans la gorge de Nanuk. C’est terminé. L’ours n’est maintenant plus qu’un tas de viande et de fourrure.

La grand-mère prend ce qu’elle peut et retrace la famille dans la toundra. Ils ont réussi à s’adapter. Elle entre dans l’igloo telle une revenante et dépose la viande d’ours au centre de l’igloo.

Pas besoin de dire quoi que ce soit. Que des regards. La réalisation que malgré son âge avancé, la sagesse et la résilience de la grand-mère en font un membre utile de leur clan...

Qu’arrivera-t-il à la prochaine famine?

Mythe  ou fait vécu. N'empêche, elle est commémorée dans l’aéroport de Puvirnituq. Une très belle sculpture met en valeur la grand-mère face à l’ours, tous deux sur un traineau. Au milieu des lames du traineau comme tombé de l’espace, une roche.

Ce n'est pas dans l'aéroport de Puvirnituq mais bien dans la toundra que l'histoire s'est déroulée

« Qu’est-ce qu’elle fait là », que je demande à un gars de l’aéroport.

« Pendant l’inauguration de la bâtisse, le gouvernement a envoyé une délégation ici. Ils ont été attiré par la sculpture et ont complètement oublié les lamelles. Un membre du gouvernement s’est enfargé dedans et est tombé en pleine figure. Y en a qui disent qu’il s’est cassé des côtes, d’autres les jambes. »


Baba et grand-maman, je ne vous abandonnerai jamais dans la toundra!

Benjamin 

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