vendredi 8 février 2013

Le vouloir

Première révélation

Un jour quelqu'un m'a dit : « Qu'est-ce que tu veux mon vieux? Dans la vie, on fait ce qu'on peut, pas ce qu'on veut. »
Jamais je ne serai en accord avec cette affirmation. Dans le plus profond de mon être, même si je n'arrivais pas, jusqu'à tout récemment à mettre les mots sur les sentiments que je voulais dire à tant de gens, même si je ne savais pas comment faire pour que ma vie n'en fasse pas l'éloge, je n'ai jamais pu l'accepter et ne l'accepterai jamais.
En fait, j'ai appris, par mes expériences, par mes désirs, par mes souffrances, par mes études et par mes croyances que l'humain ne peut pas, ne doit pas et ne veut pas faire que ce qu'il peut et seulement ce qu'il peut. La volonté, c'est ce qui fait vivre, c'est ce qui motive l'espoir. Pourquoi chercher à se la cacher? Et n'est-ce pas vrai que ce qui oriente ce qu'on peut, les possibilités, ce sont les volontés?
Je crois comprendre que ce qui guide les Inuit dans leur vie, ce qui leur donne un sens, ce sont leurs volontés. Les volontés qu'ils acceptent d'écouter en eux.

Deuxième révélation

Dans la plus intrigante région du Québec, là où pour s'y rendre, la planification est essentielle, nous sommes à écrire le résumé de nos observations et de notre recherche.

J'ai fais un constat. Comment m'est-il arrivé? Est-ce lorsque nous avons reçu la visite nocturne d'une Inuk en mal de vivre? Est-ce lorsque j'ai terminé la lecture de La rivière sans repos de Gabrielle Roy? Était-ce pendant que je m'amusais dans la neige avec deux jeunes Inuit inconnus rencontrés en haut de la butte, à côté de la Régie? Ou quand nous avons rencontré une dame du gouvernement régional, après avoir demandé à la porte si quelqu'un pouvait nous informer sur les associations d'aînés?

J'ai compris qu'au Nunavik, planifier signifie prévoir. Prévoir, dans le sens de « penser à », mais pour le futur.

Au sud, quand on planifie, on écrit. On écrit dans notre agenda, dans une liste, sur un coin de papier déchiré ou, à la rigueur, sur notre éminence thénar (le petit muscle situé sous le pouce, qui durcit quand on pince la joue de son neveu). On écrit parce qu'on ne veut pas oublier. Rien de plus normal de ne rien vouloir oublier. À 6h25, il faut se réveiller. À 7h10, il faut déposer son enfant à la garderie. À 7h30, il faut avoir commencé à travailler. À 12h00, il faut manger. À 15h40, à la garderie, à l'épicerie. À 16h30, faire le repas, le lavage, le ménage, la vaisselle en se dépêchant parce qu'à 19h00, c'est Unité 9... C'est normal d'avoir peur d'oublier une rencontre avec un étudiant en agrothérapie (ou peut-être était-ce ergo?). On a pas le temps de se poser la question, si c'est écrit à 14h30, on est là et prêt à 14h25.

Au nord, quand on planifie, on ne l'écrit pas, on n'oublie pas. On sait que ça va arriver, mais à quelle heure, on s'en fou. Tout est toujours fonction du temps qu'on a eu pour s'occuper de ses parents et de ses enfants, de son niveau de fatigue et de la température. Ce qu'on sait, par contre, c'est que ça va arriver, on en doute pas. Alors, qu'on manque un rendez-vous, ce n'est pas ce qui va empêcher qui que ce se soit de vivre.

Maintenant, quand nous, les intrus en ce pays, apportons notre bois et notre béton pour construire un hôpital et que nous installons un de nos blancs dans sa tour d'ivoire pour le surveiller avec des horaires de travail coupées au couteau, il arrive que des frictions inter-ethnies se développent.

Conclusion

J'aime bien ces valeurs Inuit, je crois que je m'y retrouve bien. Comptez sur moi pour vous les imposer à mon retour, chers défenseurs de la montre, du chronomètre, de l'agenda et du rendement.

Une autre de mes volontés? Ne serait-ce qu'une fois, pouvoir prendre encore la 12 de 7h15.

Ah oui, et qu'on arrête de me dire qu'on a pas les moyens de se payer de l'éducation quand on a les moyens de pont à payage, de centrale à Val-Jalbert, d'amphithéatre, de faire 50 000 kilomètres par année, d'en faire faire trois fois plus au matériel qu'on s'importe des États-Unis, de chauffer à 26°, d'aller 4 fois par année dans le sud et de se payer des médecins à 150 000$ par année. Pour vrai, arrêtes.

Guillaume

2 commentaires:

  1. Moi, je me reconnais dans ces valeurs tu sais.
    Merci.
    Tu verras, le désir de les garder sera très profond à ton retour au pays.
    Plus profond que j-a-m-a-i-s.
    C'est ça le choc culturel que j'ai vécu à mon retour de Port-au-Prince ...
    Voilà, maintenant tu peux comprendre.
    Un choc en lien avec les valeurs que j'avais depuis mon enfance.
    Pas le choc post-trauma PAP ...
    Le trauma de notre société.
    Peur, angoisse, insomnie, interrogations, dégoût.
    Seuls les gens 'trop' sensibles, 'trop' humains, les passionnés, les intenses ... et les psy (!) savaient de quoi je parlais
    v-r-a-i-m-e-n-t !
    On ne peut le comprendre profondément tant qu'on ne l'a pas vécu profondément, intensément.

    Ma conclusion
    Partage-le. Vis-le. Crois-le.
    Tu dealeras bien avec le reste ...
    J'ai réussi.

    dan


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  2. Voyons j'ai de la brume dans mes lunettes. Voyons, j'ai pas de lunettes.
    T'écris donc ben bien, toi, espèce de grand sensible. Je suis toute émotionnée, là.
    Quand j'étais petite, ma mère me cassait les oreilles avec sa phrase "on a toujours le choix dans la vie". Aujourd'hui, je réalise que c'est un bel héritage. Parce que dans ces choix quotidiens, il peut y avoir celui de relations humaines vraies et respectueuses, et de temps... Tes réalisations m'ont fait penser à ça...

    Grâce à toi et ta première phrase chroniquante, j'ai eu une toune de Claude Dubois dans la tête toute la journée ("j'aurais voulu être un artiiiiiiiiiiste").

    Je garde une place dedans la douze pour votre fessier royal Majesté Rivard.

    kaxx

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