jeudi 31 janvier 2013

La guerre des perspectives

Aujourd’hui, nous avons rencontré un M. travaillant dans un organisme à but non lucratif au Nunavik. Il nous a mentionné que lorsqu’il est arrivé il y a 4 ans à la tête de l’organisme, il y avait deux entités dans son bâtiment. D’un côté, c’était le côté Inuit et de l’autre côté, c’était le côté Blanc. Du côté Inuit, le bâtiment était extrêmement sale car ceux-ci ne se présentaient pas au travail alors que de l’autre côté, il était propre car les Blancs, qallunat, avec leur perspective sur les horaires du Sud, étaient habitués de se présenter en faisant du 9 à 5 à tous les jours.

Il s’est questionné sur la raison pour laquelle ceux-ci ne se présentaient pas au travail?

Pour comprendre ceci, je vous partage un survol des valeurs Inuits qui découle de mes lectures. D’abord, l’indépendance. Les Inuits mettent l’accent sur la liberté de chacun de choisir ce qu’il veut faire et quand il veut le faire. Dans leur culture, une personne qui annule un rendez-vous à la dernière minute n’est pas imputable de se faire parler dans le dos. Au même titre, on verra au Nunavik des enfants jouer à l’extérieur à des heures tardives durant la semaine. Ceci découle de cette valeur mais également du fait que l’enfant est la réincarnation d’un aîné décédé récemment (pas préconisé par tout le monde comme croyance mais encore présent) ce qui fait que de lui dire quoi faire serait une atteinte à son indépendance. Deuxièmement, très proche, il y a la non-interférence. Le fait de donner un horaire constitue de l’interférence dans l’optique ou c’était comme si on imposait quelque chose à une personne qui n’est pas présente. Une autre forme de manque de respect à la non-interférence serait de poser des questions à un tiers sur un a Inuit qui n’est pas présent. Ensuite, il y a les positions d’autorité. Certains Inuit perçoivent que les gens en position d’autorité prennent des décisions sur une base personnelle. Ainsi, les organigrammes dans les organisations ne sont pas nécessairement quelque chose auxquels ils se sont tous adaptés. L’autorité entre également en conflit avec l’indépendance puisqu’elle attaque directement le sentiment d’auto-détermination des gens. Comme chez nous, les valeurs sont plus ou moins partagées par tous mais j’observe quand même dans le petit échantillon qu’est Kuujjuaq –chaque village au Nunavik est différent- et suivant mes discussions avec plusieurs travailleurs que ces valeurs leur sont chères. Ainsi, il est important, conformément à l’ergothérapie, de se rappeler que chaque personne est unique. Autre point qui a été soulevée durant cette rencontre avec notre interlocuteur et qu’on ne doit jamais oublier est que nous ne sommes pas chez nous. Il faut adapter notre vision des services offerts et notre approche en fonction de la population ici.

Toutes ces valeurs expriment pourquoi un horaire de travail ne fonctionne pas avec certains Nunavimmiuts. Ainsi, ce que notre interlocuteur a fait lorsqu’il est arrivé a été, en premier lieu, de joindre les deux bâtiments. Ensuite, il a commencé par faire un horaire pour la semaine…sans succès. Pour le mois…sans succès. Pour l’année…sans succès. Il a ensuite tenté quelque chose. Les Blancs écrivaient leur horaire et les Inuit prenaient les heures restantes. De plus, il a expliqué à ces travailleurs, non pas qu’ils auraient des sanctions, mais l’impact que leur absence avait sur lui. Ils comprennent que ceci est en quelque sorte une atteinte de son indépendance. Ceci a augmenté l’assiduité et graduellement le nombre d’heure de travail. Je peux vous dire que nous avons vu deux travailleurs Inuit aujourd’hui dans cet établissement et ils riaient avec les résidents. Le tout avait l’air très familial.

C’est par petit pas que ceci est arrivé. De plus, M. nous a expliqué que lorsque quelqu’un manque plusieurs fois, il commence par se requestionner lui sur ce qu’il pourrait faire en tant que ‘’responsable’’ de la ressource pour que cette personne revienne travailler. En effet, il nous a dit que lorsqu’il engage quelqu’un, c’est qu’il a vu quelque chose en cette personne. Il y a dû y avoir quelque chose qui a changé la relation de cette personne avec son travail et qui explique son absence.

Suite à cette rencontre intéressante, nous avons été dans un autre bâtiment tout près. Nous avons gardé ceci en tête et nous sommes dit que pour développer des relations avec les usagers du bâtiment, nous devions revenir de temps en temps en étant d’abord des mouches sur le mur puis graduellement, de faire partie du quotidien des gens.

Ensuite, on remet notre casque de coureur des bois et notre attirail et  ensuite.

4 personnes venant du Sud débarquent et entre dans le bâtiment à la manière d’un éléphant ataxique ayant de la chorée dans un magasin de porcelaine avec des allées de 2 pieds de large.
Ils disent aux gens : Bon bien, on vient observer comment vous travaillez ici et comment ça fonctionne. Faites nous faire le tour et on va demander aux employés comment ça va après.

La non-compétence culturelle en action. La frustration. Le dégoût. L’acceptation. La réalisation qu’ils viennent du Sud et sont arrivé avec leur cadre sans tenir compte du fait que ce n’est pas chez eux.

Benjamin

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