Aujourd’hui, nous avons rencontré un M. travaillant dans un
organisme à but non lucratif au Nunavik. Il nous a mentionné que
lorsqu’il est arrivé il y a 4 ans à la tête de l’organisme, il
y avait deux entités dans son bâtiment. D’un côté, c’était
le côté Inuit et de l’autre côté, c’était le côté Blanc.
Du côté Inuit, le bâtiment était extrêmement sale car ceux-ci ne
se présentaient pas au travail alors que de l’autre côté, il
était propre car les Blancs, qallunat, avec leur perspective
sur les horaires du Sud, étaient habitués de se présenter en
faisant du 9 à 5 à tous les jours.
Il s’est questionné sur la raison pour laquelle ceux-ci ne se
présentaient pas au travail?
Pour comprendre ceci, je vous partage un survol des valeurs Inuits
qui découle de mes lectures. D’abord, l’indépendance.
Les Inuits mettent l’accent sur la liberté de chacun de choisir ce
qu’il veut faire et quand il veut le faire. Dans leur culture, une
personne qui annule un rendez-vous à la dernière minute n’est pas
imputable de se faire parler dans le dos. Au même titre, on verra au
Nunavik des enfants jouer à l’extérieur à des heures tardives
durant la semaine. Ceci découle de cette valeur mais également du
fait que l’enfant est la réincarnation d’un aîné décédé
récemment (pas préconisé par tout le monde comme croyance mais
encore présent) ce qui fait que de lui dire quoi faire serait une
atteinte à son indépendance. Deuxièmement, très proche, il y a la
non-interférence. Le fait de donner un horaire constitue de
l’interférence dans l’optique ou c’était comme si on imposait
quelque chose à une personne qui n’est pas présente. Une autre
forme de manque de respect à la non-interférence serait de poser
des questions à un tiers sur un a Inuit qui n’est pas présent.
Ensuite, il y a les positions d’autorité. Certains Inuit
perçoivent que les gens en position d’autorité prennent des
décisions sur une base personnelle. Ainsi, les organigrammes dans
les organisations ne sont pas nécessairement quelque chose auxquels
ils se sont tous adaptés. L’autorité entre également en conflit
avec l’indépendance puisqu’elle attaque directement le sentiment
d’auto-détermination des gens. Comme chez nous, les valeurs sont
plus ou moins partagées par tous mais j’observe quand même dans
le petit échantillon qu’est Kuujjuaq –chaque village au Nunavik
est différent- et suivant mes discussions avec plusieurs
travailleurs que ces valeurs leur sont chères. Ainsi, il est
important, conformément à l’ergothérapie, de se rappeler que
chaque personne est unique. Autre point qui a été soulevée
durant cette rencontre avec notre interlocuteur et qu’on ne doit
jamais oublier est que nous ne sommes pas chez nous. Il faut
adapter notre vision des services offerts et notre approche en
fonction de la population ici.
Toutes ces valeurs expriment pourquoi un horaire de travail ne
fonctionne pas avec certains Nunavimmiuts. Ainsi, ce que notre
interlocuteur a fait lorsqu’il est arrivé a été, en premier
lieu, de joindre les deux bâtiments. Ensuite, il a commencé par
faire un horaire pour la semaine…sans succès. Pour le mois…sans
succès. Pour l’année…sans succès. Il a ensuite tenté quelque
chose. Les Blancs écrivaient leur horaire et les Inuit prenaient les
heures restantes. De plus, il a expliqué à ces travailleurs, non
pas qu’ils auraient des sanctions, mais l’impact que leur absence
avait sur lui. Ils comprennent que ceci est en quelque sorte une
atteinte de son indépendance. Ceci a augmenté l’assiduité
et graduellement le nombre d’heure de travail. Je peux vous dire
que nous avons vu deux travailleurs Inuit aujourd’hui dans cet
établissement et ils riaient avec les résidents. Le tout avait
l’air très familial.
C’est par petit pas que ceci est arrivé. De plus, M. nous a
expliqué que lorsque quelqu’un manque plusieurs fois, il commence
par se requestionner lui sur ce qu’il pourrait faire en tant que
‘’responsable’’ de la ressource pour que cette personne
revienne travailler. En effet, il nous a dit que lorsqu’il engage
quelqu’un, c’est qu’il a vu quelque chose en cette personne. Il
y a dû y avoir quelque chose qui a changé la relation de cette
personne avec son travail et qui explique son absence.
Suite à cette rencontre intéressante, nous avons été dans un
autre bâtiment tout près. Nous avons gardé ceci en tête et nous
sommes dit que pour développer des relations avec les usagers du
bâtiment, nous devions revenir de temps en temps en étant d’abord
des mouches sur le mur puis graduellement, de faire partie du
quotidien des gens.
Ensuite, on remet notre casque de coureur des bois et notre attirail
et ensuite.
4 personnes venant du Sud débarquent et entre dans le bâtiment à
la manière d’un éléphant ataxique ayant de la chorée dans un
magasin de porcelaine avec des allées de 2 pieds de large.
Ils disent aux gens : Bon bien, on vient observer comment
vous travaillez ici et comment ça fonctionne. Faites nous faire le
tour et on va demander aux employés comment ça va après.
La non-compétence culturelle en action. La frustration. Le dégoût.
L’acceptation. La réalisation qu’ils viennent du Sud et sont
arrivé avec leur cadre sans tenir compte du fait que ce n’est pas
chez eux.
Benjamin